Quand
Michèle Dion, expert démographe et docteur en démographie, actuellement maître de conférences en démographie au département de Sociologie de l'Université de Bourgogne, est par ailleurs l'auteure d'une thèse de démographie de 3e cycle soutenue en 1989 dont le sujet portait sur l'étude de la population de Grand Ilet (cirque de Salazie).
L'objectif de l'auteure est, à partir de la méthode classique de la reconstitution des familles, d'étudier le sort des premiers apports de population libre et esclave, leur mise en place dans l'île et les inflexions introduites par l’économie sucrière. Elle s'appuie sur les plus anciens dénombrements connus et souligne les limites de ces sources.
L'introduction sert à placer le cadre historique de l'étude puis le corps de l'ouvrage est divisé en trois parties cohérentes avec les données archivistiques :
- "Le peuplement jusqu'en 1719", permet de suivre les primo arrivants d'individu à individu et leur destinée démographique.
- "au recensement de 1733", cerne l'inflexion majeure de l'histoire de l'île avec, pour la première fois, une proportion d'esclaves supérieure à celle des hommes libres.
- "Les recensements de 1744, 1752 et 1779", affinent les mutations des rapports entre esclaves, libres et marrons et fait apparaître le clivage riches/pauvres en rapport avec l'esclavage.
Le livre comporte deux ensembles, un texte de 123 pages et un appareil d'annexes abondant, comportant des listes démographiques et des tableaux de reconstitution des généalogies familiales, des extraits de récits de voyage ainsi que le Code noir de 1724.
L'ouvrage est soutenu par deux questionnements imbriqués qui soulignent l'originalité du peuplement de
Alors que les Français cherchent à s'établir à Madagascar pour en faire une colonie de peuplement,
Les premiers arrivés, le 9 juillet 1665, sont suivis par les rescapés des combats contre les peuples malgaches. Les premiers couples formés sont, à égalité, les uns mixtes, les autres constitués d'Européens. les générations suivantes optent, soit pour des alliances avec des métisses, des Indiennes ou des Malgaches, soit pour des alliances privilégiant les Européennes. L'auteure repère que le mariage entre non métis est majoritaire dès le départ. Il y a donc introduction d'une barrière raciale.
La présence des esclaves est elle aussi attestée dès le début. Quoique les sources ne les désignent que par les noms de nègres et négresses du Roy ou nègres et négresses de Madagascar ou encore domestiques, ils sont présents, mais en petit nombre. Il s'agit bien des premiers occupants de l'île qui font souche sur place. L'auteure souligne qu'il n'y a pas d'autres éléments pour les identifier, ils ne sont pas nommés individuellement et n'apparaissent sous cette appellation d'esclaves qu'à partir des recensements de 1705-1709. En 1705, les esclaves sont au nombre de 365 avec une proportion de Malgaches à hauteur de 53 %. A partir de
L'auteure rappelle que de ce fait, très tôt, dans les familles métisses, les esclaves et l'un des membres du couple ont la même origine géographique. Elle fait encore observer que la proportion d'esclaves dans la population croît plus vite dans ces années-là alors que le développement de l'île est à peine entamé. En 1733, les esclaves sont dix sept fois plus nombreux qu'en 1709. Par ailleurs, l'esclavage concourt à modifier les rapports sociaux en tant que facteur de paupérisation pour les premières familles vis -à -vis des nouveaux arrivants. Enfin, c'est à partir du recensement de 1733 qu'un autre phénomène structural s'ancre dans la démographie réunionnaise : les esclaves sont pour la première fois quatre fois plus nombreux que les libres.
Ce recensement de 1733, malgré des lacunes et l'impossibilité qu'il y a désormais de suivre les reconstitutions de famille, apporte un éclairage sur la diversification de la population réunionnaise. Sont ainsi repérés les commandeurs, chargés de surveiller les esclaves sur les plantations. Sont mentionnés aussi les esclaves marrons et les affranchis. Enfin, la catégorie des petits Blancs des Hauts se distingue. Elle est donc bien antérieure à l'abolition de l'esclavage même si ces réfugiés dans les Hauts de l'île sont associés dans la mémoire collective à la concurrence causée par l'arrivée des affranchis sur le marché du travail.
L'ouvrage de M. Dion, rapide et précis sur la population réunionnaise, fournit les données pertinentes s'agissant du peuplement initial de
Ceci est à mettre en perspective avec les mutations de la société coloniale réunionnaise au XIXe siècle. Le décret d’abolition de l’esclavage du 4 mars 1848, mis en oeuvre par Sarda Garriga, a des contre-coups majeurs dans l’histoire de l’île, tels la fixation des affranchis dans les hauts de l’île et le développement de l’engagisme dans les années 1860. Ce sont des faits historiques en résonance avec des questions plus contemporaines, identitaires et mémorielles, auxquelles cet ouvrage contribue à travers les données généalogiques supportées par les reconstitutions familiales. On trouvera aussi des parallèles à faire avec les travaux qui ont affiné les connaissances sociales et anthropologiques de la population réunionnaise comme ceux de Sudel Fuma ou Hubert Gerbeau.
Michèle Dion, Quand La Réunion s'appelait Bourbon, Collection Populations, Géographie Démographie Histoire Océan Indien, Paris, L'harmattan, 2006, 226 p.